« Aujourd’hui la créativité évolue dans la transversalité. »

Par Laurent Delaloye.

La peinture figurative d’aujourd’hui n’enjolive pas. Elle n’est pas dans la seule représentation. La nouvelle génération de créateurs est engagée, avec un discours aux dimensions sociales, écologiques, responsables. Elle requestionne le monde crûment. Le portrait, le paysage ne sont plus l’affaire de l’artiste seul, depuis que les applications des smartphones donnent du talent à tout un chacun. Le plasticien remet en scène l’homme de demain dans une nature qu’il aimerait idéaliser mais qu’il ne peut pas toujours (…) C’est beaucoup plus complexe et intelligent qu’on ne le croit.

L’évolution la plus significative concerne l’approche de l’artiste photographe qui sort l’image des supports traditionnels. Je viens à ce titre de rencontrer une jeune diplômée en Master de l’ECAL, Alina Maria Frieske, qui fait sortir la photo de son champ traditionnel d’inspiration, en immortalisant à la manière de la peinture de sublimes compositions humaines issues des réseaux sociaux et de leurs millions d’images éphémères.

Alina Maria Frieske, Abglanz, 2019

L’adieu aux clivages artistiques

Cela fait longtemps que je ne crois plus aux clivages artistiques. Aujourd’hui, l’humain n’est plus dans le savoir seul. L’émotionnel est autorisé, souhaité. Désormais, la créativité évolue dans la transversalité. Le design est au profit de l’utilitaire, l’image est dans l’assiette, la peinture devient mouvante avec le support vidéo, l’architecture est sculpture, la photographie est « installative». L’objet utilitaire pour l’objet utilitaire se meurt, ou se meut plutôt vers une fonction émotionnelle. La peinture ne raconte plus l’histoire de l’artiste mais va trifouiller nos âmes, la photographie bouscule notre façon d’être donc de voir. La sculpture est mobile. L’abstraction est la figuration de l’émotion.

Personnellement, je n’ai pas besoin de me rassurer avec le figuratif, qui conforte nos habitudes. Je suis associé à un restaurant qui est également une vraie galerie. A l’Abordage, à St-Sulpice, à deux pas de Lausanne, les vernissages se passent avec l’artiste, en osmose avec la cuisine autour d’un menu spécialement créé en fonction des œuvres qui sont au mur. J’aime dire que les œuvres descendent dans l’assiette et que, du coup, les yeux montent aux murs. Là, le voir-boire-manger font un. Pour moi, figuration et abstraction sont des catalyseurs d’osmose(s).

L’artiste n’est plus le témoin de notre temps, il anticipe celui de demain. L’artiste n’est plus dans la représentation mais dans la réflexion, le questionnement. Il est DEMAIN.

« Passionneur » dans l’âme

Permettez-moi une précision concernant le mot « collectionneur », que je trouve péjoratif, je préfère « passionneur » qui est une contraction des termes « passion » et « collectionneur ». Je suis un passeur de passions, en fait. Ceci étant, j’ai grandi dans un environnement ouvert aux arts plastiques. Mon père médecin adorait visiter les galeries, les antiquaires et les ateliers afin de dénicher la gravure ou la peinture originale suisse. Je l’ai suivi dans cette quête, mais à ma manière, de façon très contemporaine en étant prioritairement axé sur la création proche de mes racines et lieux de vie. Dans ma collection qui a débuté il y a une quarantaine d’années, la Suisse romande côtoie sans vergogne la création (inter)nationale, l’art brut fait bon ménage avec des œuvres géométriques, abstraites, colorées, etc.

Exposition « Overdressed » de Julie Monot présentée du 12 septembre au 13 octobre 2019 à l’Abordage – restaurant & galerie.

Méfiez-vous du premier regard

J’aime avant tout les artistes dont l’activité se situe entre l’école et la notoriété. J’adore ces rencontres à l’aube d’une carrière. Les réflexions comme les gestes sont emprunts de beaucoup de spontanéité, de fébrilité, de vérité. Ce sont des coups de cœur qui suivent une certaine logique, celle du « méfiez-vous du premier regard ».

Ce qui attire mon attention en premier lieu c’est la composition, l’énergie, mais surtout pas le coup de foudre… Je n’y crois pas vraiment. C’est trop vite éphémère. J’aime que l’œuvre se dévoile avec le temps, que l’on apprenne à se connaître, à s’apprivoiser. Je déteste quand la messe est dite ! Pour résumer, mes œuvres ne s’apprécient pas du premier regard. J’aime qu’elles évoluent avec le temps, la lumière du jour et/ou celle de la nuit, la lumière artificielle comme naturelle, celle des saisons, au gré des humeurs.

Dans cette approche, il m’arrive d’ailleurs parfois de conseiller des clients d’acheter une œuvre repoussante. A priori la signature m’importe peu même si je reconnais que des artistes tels que John Armleder, Olivier Mosset, Sylvie Fleury, Maya Rochat, Claudia Comte, Camille Scherrer, pour ne citer qu’eux, exercent sur moi une attirance incontrôlable…

J’envisage ma collection comme une pièce de théâtre avec son unité de lieu, de temps et d’action. Toutes les œuvres ont une histoire et racontent des histoires (…)

Collectionneur, conseiller dans l’art contemporain, Laurent Delaloye est plurimédia. En osmose avec sa collection personnelle, il écrit dans la presse sur la jeune création et les lieux insolites d’exposition et et partage sa passion sur Facebook et Instagram (_lau_dela_) Membre du comité exécutif de la FLAC qui défend les galeries et les artistes de Suisse romande et du Bassin lémanique en particulier, il est en charge des éditions. Il pilote également la direction artistique du restaurant-galerie L’Abordage à Saint-Sulpice. Laurent Delaloye a eu l’occasion de présenter sa collection au public à l’espace d’art abstract au Musée d’art de Pully et à La Fabrik à Monthey.

De juin à septembre 2020, sa collection sera présentée à l’Espace CHUV à Lausanne.

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